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10 : 1950: LE RETOUR A STUTTGART
Nous sommes en 1950, Ferdinand vit la dernière
année de sa vie. Très diminué par l'âge mais surtout par les conditions de sa
détention, il laisse la direction de l'entreprise à Ferry. Celui-ci bénéficie
de deux avantages. Le premier est de pouvoir compter sur son ancienne équipe
d'ingénieurs maintenant épaulée par des commerciaux très efficaces. Le deuxième
est la renaissance extraordinaire de VW qui emporte la 356 dans son sillage
triomphal.
Un nouveau départ plutôt
qu’un déménagement.
Chez Porsche, à Gmünd, on désirait revenir au
plus vite à Stuttgart. En Allemagne, il n'y aurait plus de problèmes pour
obtenir des pièces VW et des tôles alors qu'en Autriche il fallait tout faire
venir de Suisse grâce à von Senger. De plus, on serait à côté des grandes
firmes automobiles comme Bosch et Mahle dont la collaboration est
indispensable.
L'usine Porsche, dite " Werk
1 ", avait été utilisée avant la guerre comme centre de recherche
pour VW. En 1950, elle était occupée par l'armée américaine qui hésitait à la
quitter, car la guerre de Corée venait de débuter. Néanmoins, on pouvait
raisonnablement espérer que ces bâtiments seraient bientôt libres, car ils
étaient peu adaptés à un usage militaire et l'armée US construisait des bases
qu'elle occuperait longtemps. Ceci poussa Ferdinand et Ferry à rechercher un
emplacement proche de la Werk 1. Il y avait là, de l'autre côté du boulevard,
la carrosserie Reutter. Cette firme créée en 1906 avait toujours été proche.
D'abord géographiquement, car située Augustenstrasse, en face de l'endroit où
s'était installé le bureau Porsche en 1938. Mais aussi affectivement, car
depuis 1932, la famille Reutter avait noué des liens tant amicaux que
professionnels avec le Professeur Porsche qui leur avait demandé de construire
les carrosseries des prototypes Zündapp et de quelques unes des premières
Volkswagen-KdF. Pendant la guerre, la collaboration avait continué avec la
réalisation de nombreux prototypes militaires, la plupart dérivés de la
Volkswagen, comme les Kübelwagen et Schwimmwagen.
Reutter accepta facilement de louer une petite
partie (600m2) de ses locaux. Pendant un premier temps, les deux firmes
cohabitèrent dans des bâtiments en bois, finalement assez semblables à ceux de
Gmünd. A ce moment, la firme Porsche venait de rétrécir. Avec le déménagement,
le nombre de salariés était passé de près de trois cents à moins de cent. En
effet, Reutter fournissait maintenant la main d’œuvre nécessaire au travail de
carrosserie. Les ingénieurs ne trouvèrent pas de place et furent contraints de
se réfugier dans la maison familiale des Porsche, comme aux premiers jours du
Konstruktionsbüro.
Le rôle de Reutter dans la conception des
nouvelles 356 ne fut pas négligeable. C'est son refus de fabriquer des coques
en aluminium qui a poussé Ferry Porsche à renoncer à cette technique
compliquée. Par exemple, la fixation des caisses en alu aux châssis en acier
posait des problèmes de corrosion galvanique nécessitant l'isolation des deux
métaux au niveau de chaque rivet.
Les ingénieurs furent donc confrontés à un
travail immense. Il leur fallait redessiner entièrement la 356. Le châssis est
simplifié et la carrosserie est moins arrondie. Ainsi, les petites vitres
incurvées situées de part et d'autres du pare-brise sont supprimées et le capot
avant est plus petit. On pense aujourd'hui que tous ces changements ont été
défavorables en ce qui concerne la rigidité et le profilage. Ferry Porsche l'a
d'ailleurs souvent répété et a même qualifié en 1989 ces modifications de
fantaisies d'ingénieurs. En réalité, il y avait des impératifs techniques
incontournables pour adapter la 356 à une construction en série. Comme il
n'était plus question de marteler les tôles à la main, il fallait qu'elles
soient mises en forme par une presse, ce qui nécessitait que toutes les pièces
du châssis et de la carrosserie soient réétudiées.
En fait, il ne s'agissait pas d'un simple
déménagement de Gmünd à Stuttgart mais de la création d'une nouvelle voiture et
des structures industrielles nécessaires à sa fabrication.
Si au tout début, l'entreprise Reutter était
plutôt dominante dans son partenariat avec Porsche, la situation allait bientôt
s'inverser. Lorsque Porsche se réinstallera dans la Werk 1, Reutter deviendra
totalement dépendante du constructeur, En 1963, la partie de l'entreprise
consacrée à la carrosserie sera rachetée par Porsche, qui devient donc son
propre carrossier.
L'usine de Gmünd abandonnée par le staff va
continuer à fonctionner jusqu'en avril 1951. Les dernières Gmünd seront
acheminées par camion à Stuttgart pour leur finition. Démodées par l'apparition
des 356 " acier ", elles seront difficiles à écouler.
Devant les locaux de la "Karrosserie
Reutter", constituant alors l'usine Porsche, la 55e 356 "acier"
et 2 cabriolets. Ces premières "Pré-A" ont des pare-chocs soudés à la
carrosserie et leur pare-brise est en deux morceaux (21 mars 1951).
2. Les ressources
financieres.
Dans cette période troublée, ce qui préoccupe
Ferry ce ne sont pas les problèmes techniques, c'est le financement. A Gmünd,
les premières 356 se sont vendues très facilement, à tel point que la
production artisanale a eu du mal à suivre. A Stuttgart, la firme a acquis une
dimension industrielle, En conséquence, il va falloir vendre ces 356 dont
mille, puis 500 exemplaires sont prévus pour 1950 (seulement 298 seront
produits cette première année). Le Suisse Bernhard Blank, premier concessionnaire
officiel Porsche, ne donne pas satisfaction et sera remercié l'année suivante.
Par contre, Ferry peut compter sur un ami de
longue date, Albert Prinzing. Les deux hommes se connaissent depuis l'école
primaire de Bad Canstatt et ils ne se sont jamais vraiment perdus de vue.
Prinzing n'est pas un ingénieur, c'est un commercial. Il est beaucoup plus
audacieux que Ferry qui est assez réticent à l'idée de se lancer dans une
grande aventure industrielle. Heureusement, Prinzing parvient à résoudre tous les
problèmes pratiques du déménagement. C'est lui aussi qui pousse Ferry à
démarrer immédiatement la production en série des 356, même si cela doit être à
perte. En effet, à ce moment, Porsche gagne assez bien sa vie avec les
royalties payées par VW pour l'utilisation des brevets. De plus, la vente des
356 " Gmünd " et la distribution des VW en Autriche (par
Porsche Konstruktionen) ont été bénéficiaires. Dès lors, la firme risque d'être
écrasée par les impôts, très élevés à cette époque. Prinzing explique à Ferry
que les investissements réalisés à Zuffenhausen vont être des "frais
généraux " qui pendant plusieurs années permettront d'éviter de payer des
impôts. En ce qui concerne la vente des 356, c'est encore Albert Prinzing qui
prend les choses en main. Il se lance dans une tournée historique des
distributeurs VW et arrive à leur vendre près de quarante 356 payées d'avance.
L'incroyable renaissance de la firme VW va aussi
permettre le décollage des ventes à l'étranger. Les premières exportations de
Cox ont déjà eu lieu vers la Hollande (octobre 1947) grâce à l'intervention
d'un industriel d'Amersfoort, Ben Pon, encore un admirateur de la famille
Porsche. Il a déjà rencontré Ferry en juin 1949 et devient en 1950 le premier
importateur officiel de Porsche. Le deuxième sera le belge D'leteren. A ce
moment, Ben Pon a déjà entrepris d'exporter des Cox aux USA, plus précisément à
New York. Là, il a rencontré un Autrichien émigré, Max Hoffmann, spécialiste de
la vente des voitures sportive d'origine européenne. Sur sa lancée, Ben Pon lui
présente les 356.
Document exceptionnel. en 7950, Ferry et
Ferdinand Porsche (au centre) photographiés dans la Carrosserie Reutter. La
pièce déposée sur la table est un tableau de bord de 356.
Maxie est immédiatement séduit par les Porsche,
bien plus que par les Cox qui n'intéressent pas sa riche clientèle
new-yorkaise. Grâce à cet enchaînement de circonstances favorables, dès 1950,
trois petites Porsche 356 font leur premiers tours de roue sur le sol
américain. A partir de ce moment, Max Hoffmann ne ménage pas sa peine pour
faire la promotion des Porsche aux USA. Le succès est instantané et assure
immédiatement à la firme une source importante de revenus qui permet le
démarrage de la production à Stuttgart. Dès lors, c'est une véritable success
story avec la signature d'un contrat (extrêmement favorable à Porsche) avec la
firme américaine Studebaker. Ceci aussi grâce à l'intervention de Max Hoffmann
qui croyait en la possibilité de créer une Volkswagen américaine.
Ce qui reste aujourd'hui de la
Carrosserie Reutter complètement englobée dans l'usine Porsche.
Pendant ce temps, en Europe, les ventes démarrent
aussi avec l'aide bénévole du Baron Fritz Huschke von Hanstein. Dès la fin de
la guerre, cet ancien pilote automobile avait repris la compétition au volant
de voitures bricolées à partir d'éléments VW. En 1950, il gravite autour de la
firme Porsche et commence à vendre des 356 à ses riches amis. Ses efforts
seront récompensés en 1952 quand il sera officiellement engagé par la firme.
3. Glockler.
Depuis la victoire peu significative de la
Porsche n°1 à Innsbruck, la marque avait eu d'autres chats à fouetter que la
participation à des courses. L'idée de créer une vraie Porsche de course va
germer dans l'esprit de l'agent VW de Francfort, Walter GIôckIer. Il est devenu
en 1950 le premier concessionnaire allemand de Porsche et il décide de se
lancer dans la compétition.
Dans une première étape, il fait construire une
barquette de course baptisée "VW Eigenbau" qui a déjà toutes les
caractéristiques de la future Porsche 550. Nous verrons plus loin que cette
modeste voiturette artisanale sera à l'origine de l'ensemble des Porsche de
course jusqu'à nos jours.